Quand l’unanimité de façade cache la tentation autocratique
Certains politiciens aiment se draper dans le manteau de l’unanimité. Pourtant, derrière ce mot rassurant, se cache souvent une réalité moins reluisante : celle de la fausse unanimité, qui masque les désaccords, étouffe la diversité des points de vue et confisque le débat démocratique. En tant qu’ancienne maire adjointe à la démocratie participative, je veux mettre en garde nos concitoyens et donner trois exemples pour apprendre à reconnaître ces manipulations de la démocratie. Bien entendu, toute ressemblance avec des situations réelles récentes serait purement pédagogique.
Le compte rendu mensonger
Imaginons un maire qui réunit son bureau municipal, c’est-à-dire l’ensemble de ses élus de majorité. Imaginons que l’objectif principal est pour le maire d’interdire à ses colistiers de soutenir une proposition d’un de ses élus de majorité – par exemple, un texte à présenter au conseil municipal. La réunion elle-même est purement descendante, les élus de majorité ayant rapidement appris qu’il ne faut rien contester de ce que dit le maire, au prix de perdre publiquement et de manière humiliante ses délégations. Problème : comment s’assurer que la moitié des élus qui ne sont pas là reçoivent bien les instructions du chef ? Il suffit de rédiger un compte rendu, qui conclut que « de manière collégiale et à l’unanimité des présents, il a ainsi été décidé par le Bureau municipal … », tentant d’accréditer une délibération collective. En réalité, les membres du bureau n’ont été que spectateurs d’une décision imposée d’en haut, réduits à l’acquiescement ou au silence. Le compte rendu est d’ailleurs menaçant : “toute cosignature, en opposition avec cette position collective de la majorité municipale, serait à considérer à un acte de rupture avec ladite majorité”. Bien évidemment, cette unanimité est complètement fictive, puisque parmi les élus de majorité – y compris parmi les quelques-uns présents ce soir-là, plusieurs avaient contribué au-dit texte et l’avaient déjà signé… Cet exercice ne produit pas une décision collective, mais délivre un oukase du maire déguisé en “ unanimité” dans un compte-rendu fallacieux.
L’unanimité fabriquée
Imaginons un autre exemple et précisons encore que tout rapport avec la réalité locale serait fortuit… Dans un espace politique fragmenté, où les égos l’emportent sur les idéaux, une personnalité ambitieuse et pressée pourrait vouloir s’assurer de verrouiller sous son contrôle le discours politique de l’ensemble d’un camp. Une méthode en mode Rastignac municipal consiste à sélectionner autour de soi un groupe de fidèles, éliminant méthodiquement ceux qui pourraient exprimer une voix discordante. Une fois ce cercle restreint constitué, le candidat réunit ses affidés et leur demande de se choisir un chef. Il peut alors annoncer avoir été désigné « à l’unanimité » comme chef de tout son camp politique.
Il peut même, par raffinement, organiser une mise en compétition fictive, en s’accordant avec un compère qui se déclare initialement comme candidat rival. Ainsi, lors de la réunion du choix, le faux rival pourra ainsi, après quelques circonvolutions, retirer sa candidature et déclarer que, vraiment, la main sur le cœur, Rastignac est vraiment le meilleur candidat de tout leur camp politique – y compris et surtout – de ceux qui ne sont pas là.
Cette unanimité n’est plus directement mensongère, comme le cas précédent, mais elle est obtenue par machination. Dans ce cas, bien entendu, la démocratie est tout autant malmenée quand on fait disparaître tout risque de divergence. Ce mécanisme d’exclusion tente de présenter une image d’unité et de force, alors qu’il s’agit en réalité d’un subtil verrouillage du débat interne et d’une négation de la pluralité des opinions.

Illustration (source : Tintin au pays des soviets, 1929)
La surdité – volontaire ou non
Enfin, la fausse unanimité s’exprime aussi lors de consultations citoyennes ou de groupes de travail collectif. Imaginez par exemple des citoyens ou des militants réunis pour réfléchir, imaginer et analyser des idées et des solutions sur un sujet donné. Mais, après la restitution publique, le dirigeant politique se débrouille pour ignorer totalement les propositions des citoyens ( pour rappel une certaine Convention citoyenne.) Ou, encore plus simple, le politique s’auto-positionne comme chargé de la restitution du groupe de travail : il ne mentionne alors que les propositions qui confortent sa propre vision, oubliant de mentionner les points soulevés par d’autres membres du groupe, parfois essentiels pour eux, mais qui ne correspondent pas à sa vision du monde. Cette sélection de l’expression collective trahit l’esprit même de la concertation et nourrit la défiance envers les processus participatifs, qui se voient réduits – si la vigilance collective ne s’exerce pas au sein des groupes – à des opérations de communication. Encore plus dramatique : cette surdité peut même, parfois, être involontaire. En effet, certains dirigeants politiques sont tellement engoncés dans leurs certitudes idéologiques, tellement immobiles dans la bulle de leur parti politique, tellement formatés à n’écouter que des gens qui pensent comme eux, qu’à force, effacer les points de vue des autres n’est même plus un acte conscient, juste une habitude.
Apprendre à reconnaître les manipulations autoritaires
La fausse unanimité en politique n’est donc pas une simple maladresse mais le symptôme d’une tentation autoritaire, d’une volonté ou d’une pratique systématique de contrôler la parole et d’imposer une vision unique.
Cette posture porte en germe la destruction de la démocratie; prive les citoyens de la possibilité de débattre, de s’opposer, de construire des alternatives pour faire émerger des compromis véritables. Alors que penser des élus qui parleraient toujours d’une seule voix, et accepteraient sans broncher de valider chaque mois une « tribune unanime de Majorité » aux contenus incertains dans leur magazine communal, et sans jamais broncher ? La vertu aveuglante de l’UNANIMITE ?…
Face à ces dérives, l’urgence s’impose pour rétablir et réhabiliter la culture et la pratique du désaccord, du débat argumenté. Pour admettre enfin que le vivant démocratique naît de la confrontation des idées, non de leur unanimité factice.
De même, il est urgent de tester la réalité de la capacité d’écoute des candidats aux élections, leur volonté à prendre en compte et respecter des opinions contraires aux leurs, de reconnaître qu’eux ou leur parti peuvent se tromper.
Je peux vous le dire d’expérience, une fois aux commandes, ces responsables politiques ne vont pas s’améliorer.
Françoise GAGNARD
Conseillère Municipale
DÉMOCRATIE-SOLIDARITES-TRANSITIONS
5 RÉPONSES
Il est atterrant de constater que c’est Mme Gagnard qui signe un tel article.
Elle qui a cautionné durant les nombreuses années pendant lesquelles elle a tenu le poste d’adjointe au maire en charge de la Démocratie Participative, exactement les mêmes agissements que ceux qu’elle décrit ici.
Elle qui a même milité pour -et réussi à- traîner en justice et faire condamner un blog local (blog à qui elle demande aujourd’hui de publier ses réflexions) pour un mot (mal interprété) d’un commentaire écrit par un membre de son propre groupe de soutien aux municipales de 2014 !
Cet article aujourd’hui confirme que les réflexions de Mme Gagnard sont à géométrie variable tout autant qu’interroge sur sa lenteur à se rendre compte des agissements de celui qu’elle protégeait avec vigueur: rappelons nous sa violente sortie au conseil municipal à l’endroit de Michel Faye qui contestait un des agissements de L. Vastel qu’elle décrit ici ! (Michel Faye sur qui elle s’appuie maintenant pour publier sur son blog ses articles mensuels que L. Vastel refuse désormais de publier dans La Tribune du Mag depuis son éviction de la majorité).
Mme Gagnard ne fait que décrier aujourd’hui ce qu’elle a cautionné pendant des années.
Heureusement, la honte ne tue pas.
Daniel Marteau
Je ne commenterai pas les critiques de M Daniel Marteau, n’en connaissant pas le contexte.
Il n’en demeure pas moins que je trouve très fine l’analyse de Madame Gagnard sur les différentes formes de manipulation qu’utilisent de nombreux politiciens jusque dans notre bonne ville de Fontenay-aux-Roses.
Bonjour,
J’ai eu, pour ma part, beaucoup de difficultés à comprendre les agissements de Mme Gagnard vis-à-vis du blog, en effet, elle a œuvré pour le traîner en justice et le faire condamner, ce qui est très étonnant lorsque l’on prône “la démocratie participative”. Lire aujourd’hui que “le vivant démocratique nait de la confrontation des débats”, les bras m’en tombent !!
Comme tu le dis Daniel, cela ne doit pas être évident de ne pas être soutenue en retour par la personne que l’on a défendue coûte que coûte mais les faits sont là.
C’est indéniable. il y a mille et une façon de manipuler le monde, c’est consternant.
Enfin, alzheimer, ce sera peut-être pour plus tard mais pour le moment ce n’est pas le cas.
Bonjour Mme Cauden,
Je ne juge pas de la qualité de l’analyse, mais comme je l’écris, c’est le fait que ce soit Mme Gagnard qui se permette de le signer qui est gênant .
Car c’est facile de se payer de mots, mais quel crédit a-t-on quand on est le (la) premier (e) à faire ce que l’on dénonce chez les autres, et tout particulièrement quand on a d’importantes responsabilités locales ?
Aucun.
Et si vous ne vous souvenez pas du contexte du blog Osez Fontenay, peut être avez vous en mémoire la façon dont Mme Gagnard a animé la Démocratie Participative à Fontenay ?
Je souscris totalement à la réponse de Daniel Marteau. Ayant cotoyé cette dame quand je faisais partie du comité d’habitants Ormeaux Renard (2014/2020), je confirme que son très (trop) long billet fait montre d’un culot assez extraordinaire !