27 avril 2024 | 07:40
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Quand le béton menace de l’emporter sur le château Laboissière…

Etat des lieux d’un projet immobilier le long de la ruelle de la Demi-Lune qui écraserait tout l’environnement visuel autour du château Laboissière, bel édifice du XVIIe siècle et symbole du patrimoine de Fontenay-aux-Roses. Un projet établi sans aucune concertation avec les habitants.

Depuis une dizaine d’années, les constructions nouvelles poussent comme des champignons un peu partout sur le territoire de Fontenay-aux-Roses. Caractéristique de la politique immobilière et urbanistique de la mairie : l’absence, ou la quasi-absence, de concertation avec les citoyens quand les projets immobiliers touchent à leur cadre de vie.

Plusieurs exemples illustrent cette carence : le projet de réaménagement de la rue Boucicaut et l’opération prévue autour du gymnase des Potiers. Dans le premier cas, il y a bien eu une réunion de présentation et l’on peut consulter un stand d’information au « FontenayScope », à côté de la mairie rue Boucicaut. Et c’est tout. Pour le projet Potiers, les élus vous expliquent que le projet étant conduit par un promoteur privé, il s’agit d’une affaire… privée. Alors que c’est bien la mairie, représentant l’intérêt général, qui accorde in fine le permis de construire.

Un autre projet, porté par le promoteur ADIM-Vinci, illustre jusqu’à la caricature l’absence totale de consultation des citoyens par la municipalité. En l’occurrence la construction d’un immeuble de 19,50 m de haut prévu le long de la ruelle de la Demi-Lune, à quelques mètres du château Laboissière (XVIIe siècle), l’actuelle maison de la musique et de la danse. Lors d’un conseil municipal en décembre, le maire, Laurent Vastel, expliquait que cet immeuble « est réclamé par de nombreux Fontenaisiens ». Sauf qu’il ne leur a jamais demandé leur avis.

Combler un terrain vague

L’opération a pour but de « combler l’espace laissé entre les deux immeubles de la place (de Gaulle) par un chantier abandonné », peut-on lire dans « Le Mag de Fontenay-aux-Roses » de février 2023. Autrement dit combler un terrain vague. A celui qui les interroge sur ce projet et le risque de nuire à un bel édifice inscrit à l’Inventaire des monuments historiques, les élus assurent que le nouvel immeuble s’intégrera parfaitement dans le paysage urbain. L’on ne s’étonnera donc pas que le dossier de permis de construire soit rempli de promesses louangeuses : « Le long de la ruelle de la Demi-Lune, le mur de clôture existant sera conservé. Les murs existants avec les différentes copropriétés voisines seront également conservés. (…) Dans la volonté de créer un espace tampon avec les avoisinants, dont le château Laboissière, huit arbres fastigiés, charmes commun (carpinus betulus), seront plantés pour souligner l’alignement le long de la ruelle de la Demi-Lune ».

Au-delà de ces belles paroles, le document omet juste de préciser que l’immeuble de 19,50 m de haut cacherait complètement la perspective du château, symbole du patrimoine bâti de la ville. Tout en transformant la ruelle en canyon. Celle-ci risque alors de devenir un long couloir sombre et lugubre, rendu glissant à l’automne par les feuilles des quelques arbres plantés de l’autre côté du mur. Le plan local d’urbanisme n’en affirme pas moins que ruelles et sentes, « élément de patrimoine spécifique et remarquable de Fontenay-aux-Roses, sont conservées, et entretenues afin de permettre leur valorisation et leur reconquête »…

De son côté, le permis se garde bien de dire qu’il n’y aura qu’un espace d’environ 3,40 m entre le mur et la façade de l’immeuble pour planter ces 8 arbres qui, au passage, ne figuraient pas dans un premier permis… Permis suspendu par une procédure en référé en juillet 2023 pour non-respect d’un article du plan local d’urbanisme (PLU). La mairie a accordé un permis modificatif en février. L’affaire devrait être jugée sur le fond dans quelques mois. La justice reste parfois le seul recours quand tout dialogue élus-citoyens devient impossible…

Un bon montage photo vaut mieux qu’un long discours…

En attendant, le permis de construire modificatif permet d’avoir accès à des images curieusement absentes du dossier du premier permis. Prenons par exemple le montage « 16-PCM 6.7 Insertions » du permis modificatif représentant le projet d’immeuble dans son environnement.

Qu’y voit-on ? Un bâtiment imposant écrasant tout autour de lui : le château Laboissière et la ruelle de la Demi-Lune, mais aussi les constructions environnantes, à commencer par l’école Saint-Vincent, édifice (début XXe ?) tout en pierre de meulière. Décidément, comme l’aurait dit Napoléon, « un bon croquis vaut mieux qu’un long discours »…

La lecture du plan local d’urbanisme est, elle aussi, très instructive… Le document explique ainsi que les projets urbains proches des éléments de patrimoine « veilleront à ne pas affecter la qualité paysagère et culturelle liée à la présence de ces derniers. Les nouvelles constructions seront intégrées afin de maintenir les cônes de vue associés aux éléments de patrimoine ». Décidément, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Laurent Ribadeau Dumas

5 RÉPONSES

  • ça fera de l’ombre au sens propre. Pourquoi construire si haut? Pour maximiser le profit de qui?

  • Comme le rappelle Monsieur Ribadeau-Dumas, le château Laboissière, bel édifice du XVII siècle, est incontestablement un élément important du patrimoine immobilier de Fontenay aux Roses.
    Est-ce, de surcroît, un bâtiment classé à l’inventaire des monuments historiques ?
    Michèle Dorothée.

  • Laurent Ribadeau Dumas

    Pour répondre à Mme Dorothée

    Depuis 1956, différents éléments du château Laboissière sont inscrits à l’Inventaire des Monuments Historiques : façades et toitures de l’édifice et des communs, cage d’escalier et rampe en fer forgé… Dans son avis (22-12-2022), l’architecte des Bâtiments de France (ABF) a admis que “ce projet, en l’état, est de nature à porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur du ou des monuments historiques ou des abords”. Mais qu'”il peut cependant y être remédié”. Il a donc donné un accord avec prescriptions. Notamment celle-ci: « des arbres à haute tige doivent être plantés sur toute la longueur de la limite parcellaire (côté ruelle de la Demi-Lune) pour créer un écran végétal visible depuis le monument historique »

    Comme l’a rapporté Le Canard Enchaîné (22-03-2023), les prescriptions ont été recopiées dans l’arrêté municipal accordant le premier permis. « Mais la mairie ne s’est pas donné la peine de vérifier si les plans du promoteur avaient été changés en conséquence… » Au final, ils n’avaient pas été modifiés. Or, seulement deux arbres y avaient été prévus pour constituer ledit « écran végétal » : un peu maigre… Dans le permis de construire modificatif, six nouveaux arbres sont alors apparus dans les plans. Ceux-ci prévoient désormais 8 charmes communs fastigiés (carpinus betulus fastigiata) dont on peut se demander s’ils auront suffisamment de place pour se développer entre le mur de la ruelle et la façade de l’immeuble : ils ne disposeront que de 3.40 m ! Il se trouve qu’un charme commun adulte peut atteindre 30 m de haut et avoir une largeur de 6 à 8 m (https://www.plantes-et-nature.fr/arbres/33044-carpinus-betulus-fastigiata-charme-commun-fastigi.html). « Sauf à revoir tout le projet […], il n’y a aucune place disponible pour installer un rideau végétal entre les vieilles pierres et le béton neuf », estimait Le Canard l’an dernier. Un propos prémonitoire ?

    Le PCM aura eu au moins un point positif : il a fourni des montages photographiques, eux aussi absents du premier permis… Ce qui permet désormais de préciser comment le projet d’immeuble de 19,50 m s’insèrerait dans l’environnement du château. Et là, on comprend !

  • Monsieur Ribadeau-Dumas,
    je vous remercie infiniment d’avoir répondu de façon aussi détaillée et bien informée à la question suscitée par la lecture de votre article.
    Puis-je me permettre de formuler une autre question?
    Un permis modificatif de construction implique-t-il une nouvelle demande d’autorisation de l’Architecte des bâtiments de France, compte tenu de la prescription de ce dernier, “planter des arbres à haute tige”… qui ne peuvent pas être plantés, faute de place.
    Merci encore pour votre article.
    Michèle Dorothée.

  • Laurent Ribadeau Dumas

    Réponse à Madame Dorothée

    Concernant la permis modificatif, l’architecte des Bâtiments de France (ABF) a donné son accord par un courrier en date du 08-01-2024, joint au dossier. Je cite:

    “L’immeuble concerné par ce projet est situé dans le périmètre délimité des abords ou dans le champ de visibilité du ou des monuments historiques désignés ci-dessus. Les articles L.621-30, L.621-32 et L.632-2 du code du patrimoine sont applicables.
    Après examen de ce projet, l’architecte des Bâtiments de France donne son accord [en gras dans le texte, NDLR]. Par ailleurs, ce projet appelle des recommandations ou des observations :
    des prototypes et des échantillons seront présentés avant pose définitive pour validation à l’architecte des bâtiments de France et aux services de la ville”.

    Comme vous le constatez, l’ABF ne revient donc pas spécifiquement sur l’obligation de “planter des arbres à haute tige” pour “créer un écran végétal”. Une chose est sûre: les plans du premier permis prévoyaient deux arbres, ceux du PCM en montrent huit…

    Pour conclure, je m’étonne que le maire ait pu estimer en conseil municipal que ce projet d’immeuble « est réclamé par de nombreux Fontenaisiens ». Les réactions que j’entends ici et là, notamment en lien avec l’article ci-dessus, semblent largement prouver le contraire.

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